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Réformer la fonction publique : un enjeu de développement
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À l’occasion de la Journée internationale des fonctions publiques du 23 juin, l’Agence française de développement a co-organisé, avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), une conférence sur les réformes des fonctions publiques dans les pays partenaires et leur impact sur le développement. Échanges et exemples de terrain ont nourri le débat sur les outils adaptés localement pour répondre aux besoins et mieux tendre vers les Objectifs de développement durable.
En ouvrant la conférence « Réforme des fonctions publiques, un accélérateur de l’atteinte des ODD », Bertrand Walckenaer, directeur général adjoint du groupe AFD, a souligné d’emblée le rôle qu’ont à jouer les fonctions publiques, « souveraines en matière sanitaire, alimentaire, d’égalité femmes-hommes… », pour atteindre les 17 Objectifs de développement durable (ODD). Adoptés en 2015 par 193 pays, ces objectifs fixent pour l’horizon 2030 un cadre d’action global en matière de lutte contre la pauvreté, d’accès aux infrastructures, de respect de l’environnement… Autant d’axes pour lesquels « la fonction publique doit être un élément de facilitation et d’accélération », a affirmé Cyrille Pierre, directeur général adjoint Mondialisation au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE). Mais, pour y parvenir, « il n'y a pas de fonction publique idéale à exporter en imposant un modèle, la France a beaucoup à apprendre des réformes en cours dans d'autres pays. Il s'agit de partenariats, de "métissage" des fonctions publiques. »
Un jumelage pour la modernisation de la fonction publique tunisienne
En 2016, le gouvernement tunisien s’est attelé à la modernisation de sa fonction publique. « Suite à la révolution de 2011 et à la nouvelle constitution, nous avons été amenés à nous adapter », précise Fadhila Dridi, présidente du Comité général de la fonction publique (CGFP) en Tunisie et cheffe du projet de jumelage institutionnel avec la France et la Belgique autour de la modernisation de la fonction publique tunisienne (2019-2022). Un chantier coordonné par la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP). Cette dernière, avec un budget d’1,5 million d'euros, mobilise une cinquantaine d'experts sur l’optimisation des systèmes d’information, la formation et la mobilité des fonctionnaires. La Tunisie a notamment réussi à développer un outil informatique national unique de gestion des ressources humaines (RH) envié par de nombreux pays.
Guinée : rajeunir et féminiser la fonction publique
C’est justement de ce système de gestion RH que la Guinée souhaite s'inspirer. « Nous lançons dans quelques jours, à l'image de la Tunisie, le projet Fugas (Fichier unique de gestion administrative et de la solde), qui centralisera les différents fichiers nationaux », détaille Aboubacar Kourouma, secrétaire général du ministère du Travail et de la Fonction publique de Guinée. Outre cette dynamique de digitalisation des processus administratifs, le gouvernement guinéen a décidé d’engager d’autres réformes : nouvel Institut de formation des fonctionnaires, décentralisation, renouvellement des effectifs…
« Nous allons perdre 8 000 agents, qui ont dépassé l'âge limite autorisé et emportent avec eux leur expertise, poursuit M. Kourouma. Nous allons donc procéder à un recrutement via des concours ouverts à tous. Nous souhaitons rajeunir et, dans la mesure du possible, féminiser la fonction publique. » Ces réformes seront accompagnées par l'AFD, qui poursuivra un travail entamé dans le cadre d'une coopération franco-guinéenne de longue date. « Une équipe collaborera avec le secrétariat général sur les différents chantiers, dont la réforme de la gestion RH, explique Magali Kreitmann, responsable de la division Gouvernance de l'AFD. Une autre équipe accompagnera l'Institut national de formation, avec l'ambition de former 600 cadres. » Un projet à hauteur de deux millions d'euros.
Liban : les services publics très sollicités face aux crises
En raison des crises successives qui ont frappé le Liban (accueil des réfugiés syriens, explosions au port de Beyrouth en 2020, crise économique et sociale...), l'accès aux services publics de base, comme la santé, l'éducation ou l'électricité, est mis à mal. Comment renforcer les institutions publiques pour reconstruire cet État ? « Même dans une situation kafkaïenne comme celle du Liban, l'État n'est pas une cause perdue, déclare Lamia Moubayed, qui dirige l'Institut des finances publiques libanais. Il s'agit d'une revendication forte, de la part des fonctionnaires mais aussi de la société civile. La demande sur le service public a explosé avec l'appauvrissement de la population. Dans la santé, l'éducation, de nombreux usagers ont dû migrer du privé vers le public. »
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La France et le Liban entretiennent des liens privilégiés, notamment dans le domaine de la coopération administrative (échange d’expertises, formation du personnel, modernisation des finances publiques…). Dans le sillage de cette coopération, l'AFD et Expertise France travaillent auprès de l'Institut des finances publiques sur les questions de transparence et de lutte contre la corruption, « essentielles pour sécuriser les ressources financières dans les caisses de l’État, précise Magali Kreitmann. Aujourd'hui, nous allons encore plus loin en accompagnant les réformes systémiques de la fonction publique. »
Lamia Moubayed fait partie du Comité d'experts des Nations unies sur l'administration publique (UN-CEPA) qui promeut au sein des pays membres les 11 principes de gouvernance efficace pour un développement durable. « Ce comité souligne l'importance en particulier de l'ODD 16 (Paix, justice et institutions efficaces), clé de voûte du développement car il fera avancer tous les autres ODD. Un exemple en matière d'inclusivité : l'appui des réseaux féminins de haute fonction publique serait un objectif intéressant pour faire avancer la réflexion sur la mixité dans la sphère publique. »
L’#ODD16 est édifiant.
Les 11 principes des @UN pour la #gouvernance #effective #soutenable apportent structure et stratégie.
Il faut s’en inspirer et l’assumer en créant des outils financiers adaptés surtout pour les pays en crise.
Heureuse d’avoir contribué??@UNDESA https://t.co/1sBxjqyQxN
— Lamia Moubayed (@LamiaMoubayed) June 24, 2022
Les innovations au service de la modernisation des administrations publiques
Les réformes des fonctions publiques passent aussi par de nouveaux modes d'interaction avec les usagers : il s’agit de construire avec eux des politiques publiques et de proposer des solutions digitales.
La France a rejoint en 2014 le Partenariat pour un gouvernement ouvert. Cette structure regroupe 79 pays et des centaines d’organisations de la société civile, avec pour objectifs la co-construction, avec la société civile, d’une action publique transparente et l’innovation démocratique.
« Un “gouvernement ouvertˮ est plus transparent, participatif, inclusif et la collaboration entre les citoyens et le gouvernement favorise une action publique plus saine, explique Nicole Nkoa, directrice du Projet d'appui aux gouvernements ouverts francophones (Pagof) en Côte d'Ivoire, projet financé par l'AFD et mis en œuvre par Expertise France. Pour organiser le dialogue entre l'administration et la société civile et favoriser la démocratie participative, « le gouvernement s'appuie sur un principe fondamental : mettre l'administration et la société civile sur un pied d'égalité ». À ce titre, le Pagof a mis en place des formations pour renforcer les capacités des sociétés civiles à communiquer avec l'administration (codes de conduite, langage), mais aussi pour avoir des outils de plaidoyer efficaces pour défendre un projet de loi.
Un autre volet permet de rapprocher l'administration des usagers : la digitalisation des services publics, qui, en les rendant accessibles là où ils ne sont pas implantés physiquement, peut réduire les fractures territoriales. Au Vietnam, le gouvernement a ainsi développé une stratégie très ambitieuse de digitalisation de ses services publics, soutenue par l'AFD et Expertise France.
Pour Bela Hegedus, chef du pôle Droit, justice et gouvernance de l'ambassade de France au Vietnam, « cet accompagnement a notamment contribué à définir un cadre réglementaire des réformes (protection des données personnelles) et à lancer le portail des services publics vietnamiens en 2019. » Parmi les points de vigilance à suivre, « Il faut s'assurer, d'une part, de la consultation réelle des citoyens pour la définition du service public et, d'autre part, de la couverture de l'ensemble du territoire et de la population, notamment les personnes fragiles. Chaque citoyen doit être impliqué dans cette réforme. »