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Khadija Bourass : au chevet des oiseaux, pour protéger la biodiversité du Maroc
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À la tête du Groupe de recherche pour la protection des oiseaux au Maroc (Grepom), Khadija Bourass défend la biodiversité marocaine avec détermination. Elle milite en faveur de la faune et des zones humides, convaincue que préserver la nature, c’est aussi protéger les populations, du fait de l'interdépendance des espèces.
Certains comptent les moutons pour s’endormir, d’autres comptent les oiseaux pour protéger l'avenir. Docteure en écologie, Khadija Bourass est passionnée de biologie et d’immunologie. À la tête du Groupe de recherche pour la protection des oiseaux au Maroc (Grepom) depuis 2016 et malgré tout le travail accompli, elle se justifie presque de ne pas être ornithologue. Passée en quelques mois à peine de chargée de conservation à directrice exécutive du Grepom, elle est élue quatre ans plus tard membre du conseil de BirdLife International, l’une des ONG de référence pour la protection de la nature et des oiseaux. « Être élue membre de ce conseil en 2020 a été une surprise et une fierté. Cela montre que le travail du Grepom est reconnu à l’échelle internationale », confie-t-elle.
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Sur le terrain, entre observation et sensibilisation
Sur les rives de Oued Ykem, entre Harhoura et Skhirat, puis de Oued Cherrat, entre Skhirat et Bouznika, quatre membres du Grepom se retrouvent pour une sortie dédiée à l’observation de la sarcelle marbrée et, plus généralement, à un recensement automnal. Une matinée intense : avant même d’installer leurs jumelles, trépieds et longues-vues, il leur a fallu sauver une mouette sur le bord de la route, observer un cormoran mort sur la plage et constater le braconnage amateur d’un jeune chardonneret, enfermé dans une cage posée à même le sable dans le but d’en attirer d’autres et de perpétuer un trafic voué à des concours de chants d’oiseaux. « Il y a quelques années, on nageait ici comme dans une piscine ! », lance un riverain en les croisant. Des défis de terrain qui illustrent les multiples fronts sur lesquels le Grepom agit, mêlant conservation scientifique et sensibilisation immédiate.

Convaincre pour préserver les zones humides : un enjeu crucial pour la Méditerranée
« Notre défi, c’est de convaincre les gens de l’interdépendance entre la conservation de la nature et l’amélioration des conditions de vie humaines », explique Khadija Bourass. Et pour cause : observer et recenser, c’est aussi rendre compte de l’impact de la sécheresse et de la surexploitation des ressources. Ces phénomènes ne menacent pas seulement les oiseaux et leurs habitats, mais aussi les populations locales et leur survie. « Les zones humides sont comme des éponges : elles régulent l’eau, enrichissent les nappes phréatiques et réduisent les risques d’inondations. Avec leur disparition, ce sont des services écosystémiques essentiels pour les populations locales qui s'évanouissent », alerte Khadija Bourass.
Avec le soutien financier de l’AFD, le Grepom s’implique depuis 2018 dans deux projets qui visent à renforcer les capacités de la société civile pour la conservation et l’utilisation durable des zones humides des pays méditerranéens. Portés par l’institut de recherche camarguais la Tour du Valat, ces projets s’appuient sur deux réseaux, l’Alliance méditerranéenne pour les zones humides (AMZH) et le Réseau oiseaux d’eau Méditerranée (ROEM) « La restauration des zones humides ne peut se faire sans intégrer les besoins des communautés locales, car leur adhésion est la clé pour garantir la durabilité des actions entreprises », poursuit Khadija Bourass. Proposer des alternatives viables et durables à leurs pratiques, plutôt que de les interdire, est essentiel pour les inciter à prévenir la destruction des sites restaurés.
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Recenser et agir : des données au service de la biodiversité
En 2024, le Grepom a ainsi recensé 108 sites de zones humides dans huit des douze régions du Maroc, mobilisant une cinquantaine d'observateurs. Alimentant une base de données précieuse sur les populations d’oiseaux et les menaces qui pèsent sur elles, ces informations servent de base à des indicateurs écologiques pour guider des actions prioritaires. Par exemple, le suivi de l’érismature à tête blanche, espèce menacée, a conduit à des plans d'action spécifiques élaborés en collaboration avec l’Agence nationale des eaux et forêts (Anef). Ces données ont servi également à la révision du plan directeur des aires protégées au Maroc, et à fournir des recommandations stratégiques à l’administration sur l’établissement des quotas de chasse.
L’ibis chauve : une victoire emblématique
Autre succès du Grepom, et pas des moindres : le programme de conservation de l’ibis chauve, espèce emblématique et unique au monde. « Grâce à une synergie entre l’association, l’État et des gardiens locaux, cette espèce, autrefois classée "très menacée", a été déclassée à "menacée" en 2018, se réjouit Khadija Bourass. Pour nous, il n’existe pas de petite victoire. Faire découvrir le monde des oiseaux aux enfants, convaincre un pêcheur de participer à une matinée de sensibilisation, ou un chasseur de ne pas tuer une espèce menacée peut être tout aussi gratifiant que de mener un grand projet. »