« La langue française est un facteur de lien, d’employabilité et de développement solidaire »

Où en est la francophonie dans le monde aujourd’hui et quelle est la position du groupe AFD ? 

Safia Ibrahim-Netter : L'Organisation internationale de la francophonie (OIF) est née en 1970 lors de la conférence de Niamey, sous le nom d’Agence de coopération culturelle et technique. Inspirée par des figures telles que Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba, Hamani Diori et Norodom Sihanouk, l'OIF incarne l'esprit de coopération et de partage culturel à travers le monde via la langue française. Sa charte, révisée en 2005, définit des objectifs de promotion du français, de soutien à l'éducation et de diversité culturelle. Elle aborde également des enjeux contemporains tels que le développement durable, la transition numérique et l'égalité femmes-hommes, tout en jouant un rôle dans la démocratie et les droits humains.

La francophonie représente une communauté dynamique de 88 États membres de tous les continents, y compris les territoires insulaires.

Dès son origine, l'AFD s'est principalement concentrée sur les pays de « l'Union française », incluant 14 États d'Afrique francophone et Madagascar. Aujourd’hui, le groupe AFD a une présence dans 40 pays francophones et couvre presque l’intégralité des pays en développement membres de l’OIF : en tout, ce sont près de 40 % des engagements et des opérations de l’AFD qui se font à destination de 55 membres de l’OIF, d’Haïti au Vietnam en passant par le Sénégal, le Burundi, le Liban ou l’Arménie. Nous accompagnons via nos agences ces pays partenaires pour contribuer à l’atteinte de leurs trajectoires de développement durable.

 

L’espace francophone détient une place privilégiée dans le portefeuille AFD : en 2023, plus de 60 % des 50 premiers pays du portefeuille de l’AFD appartiennent au périmètre francophone.

La loi de programmation du 4 août 2021 confère à l'AFD une légitimité politique renforcée, notamment dans l'espace francophone, en intégrant la promotion de la francophonie comme un objectif central de la politique de développement solidaire. Un appui fort pour bâtir une stratégie de nos interventions dans cet espace. La prochaine réunion des directrices et directeurs du réseau du groupe AFD, prévue en janvier 2025, sera l’occasion d’en débattre.

Le groupe AFD soutient depuis vingt-cinq ans les systèmes éducatifs à travers le monde en misant sur la formation des enseignants et en cherchant à améliorer le niveau de français, notamment en Afrique subsaharienne, qui connaît une forte croissance démographique. À noter : le français est la deuxième langue la plus enseignée dans le monde.

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La République démocratique du Congo (RDC) est le premier pays francophone au monde. Comment cela se traduit-il concrètement ? 

Safia Ibrahim-Netter : Dans ce pays de 100 millions d’habitants où l’on dénombre près de 300 dialectes et quatre langues nationales, le français facilite la communication entre les Congolais, quelles que soient leurs origines. La langue française crée un véritable lien entre les 26 provinces. C’est un élément d’unité nationale et surtout d’employabilité.

Inversement, la RDC est une opportunité pour l'espace francophone : il s’agit du premier pays francophone au monde, en forte dynamique démographique. C’est un pays, certes marqué par la guerre et les fragilités, mais le système éducatif se relève progressivement et il y a une volonté d’investir dans la qualité de l'enseignement en français. En partenariat avec la Banque mondiale, le groupe AFD accompagne le système de réforme de l’enseignement, avec notamment un programme qui formera chaque année 1 000 enseignants dans quatre provinces. 

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Comment valoriser la langue française, la rendre encore plus attrayante ? 

Safia Ibrahim-Netter : Il y a dix ans, le nombre de locuteurs quotidiens du français dans le monde était estimé par l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) à 212 millions de personnes. En 2022, on comptait 321 millions de locuteurs, avec une forte progression en Afrique subsaharienne et dans l’océan Indien. Nous sommes dans un monde globalisé où l’anglais a tendance à être dominant dans certains secteurs, mais la langue française résiste, par exemple en Asie et dans le Pacifique : quatre pays partenaires de l’AFD sont membres à part entière de l’OIF (Cambodge, Laos, Vanuatu et Vietnam) et perçoivent le français comme un moyen d’employabilité et d’opportunités économiques. 

Pour valoriser la langue française, il faut s’appuyer sur différents vecteurs : l’éducation bien sûr, mais aussi d’autres vecteurs comme le sport, les publications scientifiques, la culture et les outils d’intelligence artificielle, qui rendent l’apprentissage plus ludique.

Les secteurs des Industries culturelles et créatives (ICC) et du sport font partie des 17 Objectifs de développement durable de l’Agenda 2030, aux côtés de la santé ou des infrastructures. Ils sont créateurs d’opportunités et d’emploi. L’accompagnement du musée d’Abomey au Bénin est un exemple parlant : les ICC contribuent au tourisme, aux retombées économiques, tout en redynamisant l'espace francophone. 

La francophonie est aussi un élément de mobilité, de connexion et de liberté au sein de cet espace. Le fait qu'on crée, qu'on innove, qu'on entreprenne en français montre l'ambition que les pays veulent se donner en misant sur l'attractivité du français.

Deux projets phares de l'AFD

Programme Apprendre 

« Dans de nombreux pays francophones, en Afrique notamment, le français n’est que très rarement la langue maternelle. C’est une langue qui est transmise la plupart du temps à travers l’école, précise Quentin Lebègue, responsable d’équipe projet régional éducation à l’AFD. Lorsqu’on intervient sur les systèmes éducatifs de ces pays, on contribue directement au dynamisme du français au niveau mondial. Et intervenir sur les systèmes éducatifs, c'est notamment intervenir sur les enseignants, puisque ce sont les premiers vecteurs. »

Financé par l’AFD et mis en œuvre par l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) depuis 2017, le Programme d’Appui à la professionnalisation des pratiques enseignantes et au développement de ressources (Apprendre) a permis de former à ce jour plus de 7 000 formateurs et encadreurs et d’accompagner plus d’un million d’enseignants dans 21 pays.

Ce programme a déjà donné de très bons résultats sur la formation initiale et continue des enseignants, sur l’usage pédagogique des technologies, sur la promotion et l’enseignement des mathématiques et des sciences et sur l’enseignement de la lecture et des langues.

Devant son succès, une troisième phase va démarrer début 2025, en mettant l’accent sur le renforcement des dispositifs de formation des enseignants dans cinq pays (Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal, Madagascar et République démocratique du Congo) et sur la mise en réseau des acteurs nationaux et internationaux pour la réalisation de ressources pédagogiques décontextualisées à la disposition des 26 pays du programme. Le programme traitera notamment des enjeux d’inclusion et de genre.

En savoir plus sur le programme Apprendre

Projet Prefec aux Comores

Lancé fin 2023 pour une durée de quatre ans, le Projet d’appui au renforcement des compétences enseignantes en français pour l’amélioration de l’enseignement aux Comores (Prefec) vise à améliorer le niveau de français des enseignants du primaire et à développer leurs compétences pédagogiques et didactiques. L’objectif final est d’améliorer la réussite scolaire des élèves et leurs perspectives d’insertion professionnelle. 

La formation s’appuiera notamment sur des outils numériques. Pour Quentin Lebègue, « les outils numériques donnent de nouvelles solutions aux enseignants. Non seulement ils peuvent s’appuyer sur ces outils pour renforcer leur niveau de français, mais ils peuvent aussi mieux capter l’attention des élèves grâce à leur aspect ludique. Les enseignants peuvent par exemple créer eux-mêmes de petits jeux éducatifs. »

Au total, 2 200 enseignants du primaire devraient être formés aux Comores.

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